LA PRÉSIDENCE D’ALAIN NOËL

 

       C’est le 9 avril 1983 que j’ai rencontré pour la première fois le premier président de la Société généalogique de l’Yonne. Âgé alors de vingt-cinq ans, Alain Noël était le plus jeune président fondateur d’un cercle généalogique en France. Ce jour-là, lors d’une assemblée générale organisée à Dixmont, il a expliqué à l’auditoire qu’il avait pour ambition, avec son vice-président Etienne Meunier, de faire de l’association de généalogie qu’il avait créée une véritable société savante. Pour ce faire, il avait pris le parti de ne pas suivre la voie qu’avaient empruntée, à l’époque, les autres cercles généalogiques français, dont les bulletins étaient encore fabriqués en 1983 de façon artisanale et ne proposaient surtout aux lecteurs que des listes d’ascendance ou de familles étudiées. À l’inverse de cette tendance générale, Alain Noël avait décidé de publier avant tout des monographies familiales, dans des bulletins imprimés et reliés par des professionnels, tel le bulletin de liaison n° 4 qu’il a distribué ce jour-là.[3]

       L’objectif annoncé le 9 avril 1983 par le vice-président Etienne Meunier était fort clair : en l’an 2000, la Société généalogique de l’Yonne devait avoir publié au moins mille généalogies, que ce soit sous forme de monographies ou de simples tableaux. Pour s’en donner les moyens, Alain Noël et Etienne Meunier ont alors créé dans la foulée deux nouveaux outils : les cahiers généalogiques de l’Yonne, où ne seraient publiées que de grosses monographies familiales, et l’Encyclopédie généalogique de l’Yonne, où viendraient s’ajouter au fil des ans des fiches présentant l’arborescence de toutes sortes de familles icaunaises, sous forme de tableaux. Le premier cahier est paru le 24 août 1983. Les premières fiches de l’Encyclopédie ont été distribuées à Sens le 5 novembre suivant. Ces deux outils étant financés par les cotisations, en plus des bulletins de liaison, tous les adhérents du cercle icaunais ont pu bénéficier de cette profusion d’arbres généalogiques et de monographies en tout genre.

       Si la Société généalogique de l’Yonne était devenue très active sur le territoire icaunais, elle n’avait toujours pas créé d’antenne à Paris, contrairement à la plupart des autres cercles français. Certes, on pouvait se rabattre sur l’antenne parisienne du Cercle généalogique et héraldique de l’Yonne, mais les généalogistes icaunais de Paris et de sa région ont vite constaté que ce cercle n’avait aucune existence réelle et que son antenne était tout aussi fantomatique. Ils ont donc continué à fréquenter assidûment l’antenne parisienne de l’union bourguignonne, participant notamment à tous les banquets annuels organisés par l’union à Paris. La rencontre festive la plus mémorable a sans conteste été celle du 14 janvier 1984, au restaurant du Sénat, où les généalogistes bourguignons ont été accueillis chaleureusement par le président Alain Poher en personne, deuxième personnage de l’Etat qui par deux fois avait été président intérimaire de la République française. J’ai participé avec madame Clotilde Mousset à cet événement majeur, par lequel les plus hautes autorités politiques du moment reconnaissaient « la place des généalogistes français dans la vie culturelle de la Nation ». Il était clair pour moi, à l’époque, que cet accueil prestigieux au Sénat récompensait les efforts de tous les partisans, à Paris, d’une union renforcée.

       C’est à Paris, en fréquentant les antennes de l’union bourguignonne et d’autres cercles provinciaux, que j’ai pris conscience que la Société généalogique de l’Yonne devait inciter ses membres, elle aussi, à participer à des travaux collectifs. Elle avait pris du retard en la matière, contrairement aux cercles bourguignons de Côte-d’Or et de Saône-et-Loire qui possédaient déjà des tables de mariages. Puisque personne, dans l’Yonne, ne semblait vouloir prendre la responsabilité de lancer une campagne de relevé des mariages, j’ai fini par m’impliquer directement dans les décisions de la Société généalogique de l’Yonne pour lui faire rattraper son retard. Le 29 août 1984, lors d’une assemblée générale à Auxerre, j’ai accepté en effet d’entrer officiellement au conseil d’administration de l’association et j’ai aussitôt pris l’initiative de créer, et d’animer, une section des travaux collectifs au sein du cercle icaunais. J’ai été aidé en cela par le nouveau secrétaire de la Société, Pierre Bonnicel, qui s’est occupé du recrutement et de l’encadrement de plusieurs jeunes que l’on pouvait engager alors dans le cadre des Travaux d’utilité collective (ou T.U.C.). De mon côté, j’ai coordonné les travaux de ces jeunes et de tous les bénévoles qui se sont inscrits auprès de moi pour participer, dans l’Yonne, à notre vaste campagne de relevé des mariages.

       J’ai aussi insisté pour qu’une antenne de l’association soit enfin créée à Paris. Pour des raisons de sécurité, en effet, le gérant de la brasserie François Coppée où se réunissaient les généalogistes bourguignons, au cœur de la capitale, avait fini par exiger que ses clients épris de généalogie, devenus trop nombreux, se scindent en groupes plus restreints, sur une base départementale et non plus régionale. Il fallait donc trouver un responsable d’antenne à Paris. Le choix du conseil d’administration de la Société généalogique de l’Yonne s’est finalement porté sur l’une des premières adhérentes de l’association, madame Clotilde Mousset, que les dirigeants de l’union bourguignonne avaient déjà placée, trois ans plus tôt, à la tête de l’antenne mort-née d’un Cercle généalogique et héraldique de l’Yonne inexistant. L’antenne parisienne de la Société généalogique de l’Yonne a tenu sa première réunion le 5 octobre 1985 au premier étage de la brasserie François Coppée, en présence d’Alain Noël.

       Les généalogistes parisiens ne se contentaient pas de fréquenter les antennes parisiennes des cercles de province. Certains, comme moi, assistaient également à Paris aux cours de généalogie dispensés par le professeur Jacques Dupâquier, qui avait pour projet de lancer une vaste enquête démographique portant sur trois mille familles françaises à travers les âges, du début du XIXe siècle à la fin du XXe. Tous les départements français étant concernés par cette enquête, le professeur Jacques Dupâquier est venu présenter son projet le 14 juin 1986 à Villeneuve-sur-Yonne, au cours d’une assemblée générale de notre cercle. En ma qualité de responsable des travaux collectifs, j’ai accepté ce jour-là de prendre en charge cette enquête au sein de la Société généalogique de l’Yonne, et j’ai aussitôt choisi les trente-trois couples mariés au début du XIXe siècle sur le territoire icaunais dont il fallait rechercher toute la descendance patronymique jusqu’à la fin du XXe siècle. Jusqu’en 1991, plusieurs membres de notre association ont participé avec moi à cette enquête nationale.

       En 1986, un changement important est intervenu à la tête de la Fédération des sociétés françaises de généalogie, d’héraldique et de sigillographie. Cette année-là, le baron Jacques Ameil a cédé la présidence à monsieur Gaston Sagot. Le nouveau président de la Fédération n’a pas tardé à mener campagne pour réformer toute la structure fédérale et l’assise des cercles. À l’instar de Jean Favier, directeur général des Archives de France depuis 1975, il voulait que le monde associatif français de la généalogie s’organise dans le cadre républicain des régions et départements, avec un seul cercle par département, une seule union par région et une seule fédération nationale pour couvrir l’ensemble. Cette nouvelle structure républicaine, qui remettait en cause le réseau déjà en place fondé essentiellement sur les anciennes divisions territoriales de la période monarchique, permettrait de simplifier, selon le président fédéral, les rapports entre généalogistes et pouvoirs publics en France : les conseils généraux n’auraient pour interlocuteur qu’un seul cercle départemental, les conseils régionaux qu’une seule union régionale et le ministère de la culture qu’une seule et unique fédération nationale. En outre, le conseil d’administration de la fédération ne serait plus composé de notables parisiens, coupés de ce qui se passe en province, mais uniquement de délégués régionaux, ceci à raison d’un délégué par union.

       Cette réforme impliquait que de vastes cercles provinciaux centralisés comme le Centre généalogique de Champagne se scindent en cercles départementaux, affiliés à une nouvelle union généalogique champenoise, et que des unions déjà existantes comme l’Union des sociétés généalogiques de la généralité de Bourgogne adaptent leur structure interne à la nouvelle donne. En Bourgogne, le cercle de l’Ain aurait dû quitter la nouvelle union généalogique bourguignonne et les deux cercles de l’Yonne et de la Nièvre auraient dû accepter de s’affilier à l’union. Le poids du passé n’a pas permis, cependant, au président Gaston Sagot d’atteindre pleinement ses objectifs. La Société généalogique de l’Yonne a certes été sollicitée en 1986 par les dirigeants de la nouvelle Union généalogique de Bourgogne, qui avait gardé le cercle de l’Ain en son sein, mais Alain Noël a refusé d’affilier le cercle icaunais aussi bien à l’Union qu’à la Fédération. Sachant que j’étais favorable à cette double affiliation, il m’a prié d’annoncer son refus en des termes amicaux. J’ai donc publié en janvier 1987, dans le n° 33 de Nos Ancêtres et Nous, un article intitulé « L’Yonne et la Bourgogne » qui rappelait que la majeure partie du territoire de l’Yonne, avant la Révolution, ne faisait pas partie de l’espace bourguignon. C’est à la suite de cet article que les dirigeants de l’union bourguignonne ont supprimé, à ma demande, le Cercle généalogique et héraldique de l’Yonne de la liste des cercles implantés et actifs en Bourgogne.

       Malgré la décision d’Alain Noël, il était clair pour les dirigeants de l’union que la Société généalogique de l’Yonne était destinée à rejoindre un jour la nouvelle Union généalogique de Bourgogne. Dès avril 1987, le nom de notre société icaunaise a été ajoutée à la liste des cercles bourguignons mentionnés en page 2 de couverture de Nos Ancêtres et Nous, puis, à partir du n° 38 de cette revue, paru en 1988, la carte de tout le territoire couvert par l’union a été publiée systématiquement en page 1 de couverture ; cette carte, approuvée finalement par la Fédération, incluait l’Ain mais aussi l’Yonne et la Nièvre dont les deux cercles n’étaient pourtant pas fédérés.

       À Paris, alors que monsieur Gaston Sagot s’efforçait de réformer la Fédération française de généalogie,[4] un adhérent de la Société généalogique de l’Yonne faisait en sorte de créer, au cœur de la capitale, un centre de recherches généalogiques où pourraient être accueillies toutes les antennes parisiennes des cercles de province. Ce membre de notre cercle, monsieur Philippe de Chastellux, a fini par trouver une location dans le quartier central des Halles, où en 1989 il a transféré tous les fonds de la Bibliothèque généalogique, créée en janvier 1983 et abritée pendant six ans dans les locaux feutrés de la bibliothèque Thiers. L’implantation de la Bibliothèque généalogique dans le quartier des Halles a eu un impact immédiat et profond sur la vie des généalogistes à Paris. On pouvait y consulter des fonds originaux, comme les cartes de sûreté de la Révolution ou les anciens faire-part de naissance, mariage et décès de diverses familles notables, et les antennes des cercles pouvaient y tenir leurs séances. L’antenne parisienne de la Société généalogique de l’Yonne a suivi le mouvement général : elle a quitté définitivement la brasserie François Coppée pour se réunir à la Bibliothèque généalogique, aux Halles, à partir du 22 avril 1989.

       Longtemps domiciliée à Dixmont, la Société généalogique de l’Yonne a fini par installer son siège social à Joigny, en plein centre du département. La ville de Joigny était la capitale d’un ancien comté champenois, coincé entre le comté francilien de Sens et le comté bourguignon d’Auxerre. Constatant que le comté de Joigny n’avait suscité que peu de recherches historiques, Alain Noël a décidé d’organiser un grand colloque sur le sujet. Pendant deux jours, les 9 et 10 juin 1990, des universitaires et des érudits locaux ont pris la parole devant un large auditoire, composé entre autres de représentants des diverses sociétés savantes du département. Les conférences ont été publiées par la suite dans le tome VII des cahiers généalogiques de l’Yonne, le plus épais à ce jour de toute la collection. Trois mois plus tard, le cercle icaunais a confirmé son implantation à Joigny en inaugurant sur place, le 15 septembre 1990, un Centre d’études et de recherches généalogiques ouvert à tous ses membres.

       En fondant la Société généalogique de l’Yonne, Alain Noël et Etienne Meunier voulaient en faire une société savante reconnue. La qualité scientifique et matérielle des publications qu’ils ont conçues, ainsi que la réussite du colloque sur le comté de Joigny, ont finalement porté leurs fruits. Le 22 septembre 1991, le cercle icaunais a eu le rare privilège, en effet, d’être reçu au sein de l’Association bourguignonne des sociétés savantes lors d’un colloque qu’elle organisait à Châtillon-sur-Seine. J’ai eu pour tâche ce jour-là, avec monsieur Gilles Poissonnier, de présenter la candidature de la Société généalogique de l’Yonne et d’être le témoin de son admission. Aucun autre cercle bourguignon de généalogie n’avait été accueilli par l’Association.

       Alain Noël a quitté la présidence de la Société peu après. Pendant son mandat d’une dizaine d’années, il aura publié trente-trois bulletins de liaison et sept cahiers généalogiques, ainsi que de nombreuses fiches de l’Encyclopédie généalogique de l’Yonne et, en 1988, un Répertoire des familles étudiées. Sous sa présidence, deux campagnes de travaux collectifs auront été lancées, placées sous ma direction : le relevé de tous les mariages célébrés dans l’Yonne avant 1793, qui du 31 mai 1986 au 31 décembre 1990 aura permis à 258 adhérents et sympathisants de la Société d’acquérir jusqu’à 2283 tables de mariages, puis la participation de certains de nos membres à l’enquête du professeur Jacques Dupâquier. Le bilan est donc positif.